On raconte qu’au cœur d’une forêt que les hommes ont oubliée, vivait une Louve aux yeux d’amazonite.
Affable, toujours. On l’apercevait souvent s’adressant aux oiseaux, sacrifiant ses vivres au bonheur des écureuils, riant avec les cerfs à gorge déployée, aux matins perlés de rosée.
Mais jamais, ô grand jamais, la louve ne se livrait. Tout ce qu’elle donnait aux autres était choisi, mesuré, offert comme un bouquet fermé. Ainsi, nul ne pouvait lire, sous la fourrure, les vieilles plaies, les failles et les secrets.
Jusqu’à ce soir d’hiver où, parmi les sapins immobiles, apparut un Loup.
Pas un loup ordinaire. Sa silhouette avait la droiture des arbres centenaires, ses gestes la précision d’une lame qui ne tremble pas. Chaque pas qu’il posait sur la neige semblait pesé par l’honnêteté-même.
La Louve le vit, et sut qu’il ne mentirait jamais. Lui la fuya; pourtant, à peine son âme l’avait-elle discernée entre les bosquets, qu’il sut qu’elle ne trahissait pas. Elle était incorruptible, pour toujours et sans retour.
Il rebroussa son chemin et frotta le bout de son museau contre la gorge serrée de sa bien-aimée.
C’est alors que pour la première fois, elle ouvrit son cœur.
Elle lui donna son ventre chaud les nuits de gel, ses oreilles attentives, et même le chemin secret vers la source claire qu’elle gardait pour elle seule depuis tant de temps. Il lui offrit l’abri d’une épaule solide, et cette certitude rare : dans la tempête, il resterait debout.
Mais le Loup portait en lui une rigueur qui ne pliait pas. Toujours plus haut. Toujours plus loin. Toujours plus fort.
Les fruits qu’elle rapportait n’étaient jamais tout à fait mûrs. Les rivières qu’elle découvrait, jamais assez profondes.
Un jour, alors qu’elle revenait d’une chasse lointaine, haletante et joyeuse, elle le vit laisser un Renard s’approcher… et planter ses crocs dans son flanc. Pas pour la tuer. Non. Simplement pour tester la résistance de sa peau.
Elle poussa un hurlement de chagrin, qui retentit à travers les bois. Sa dignité s’emietta comme des braises après un grand feu. Mais elle ne partit pas.
Elle resta, loyale, malgré la plaie. Parce qu’aimer, pour elle, n’était pas compter les coups reçus, mais se souvenir des promesses faites.
Le Loup, parfois, croit sentir encore l’odeur de son sang sur la neige. La Louve, elle, porte toujours une entaille sur le cœur… mais tourné vers lui.
Et les anciens de la forêt murmurent encore cette morale :
La vraie force n’est pas de quitter pour se protéger, mais de rester fidèle à ce qu’on a choisi d’aimer.
C’est là que réside la liberté de la louve aux yeux d’amazonite, en symbole de sa paix intérieure autant que de son courage de ne jamais se défiler.