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Je poste, donc je suis

L’apparat ment autant que l’à part te ment.

Je poste des photos depuis dix ans, assise au bureau ou dans mon appartement. 

C’est une forme de journal, sauf qu’au lieu d’être planqué dans un tiroir Ikea, il est exposé aux heures de grande écoute, entre deux réels de recettes véganes et une pub pour une crème à la bave de crapauds. 

Il s’agit une pratique étrange apparemment ; elle est intime et publique, douce et violente, narcissique, égonormalisée et sacrée. Un rituel. Une liturgie de l’apparence. Une esthétique de la constance. Une pratique semi-spirituelle, semi-névrotique, avec filtre lumière naturelle et texte bien trempé. 

Je publie sur Instagram, Facebook, parfois même WhatsApp.

Je n’ai pas toujours su pourquoi je le faisais. Aujourd’hui je sais mieux. Ce n’est pas pour plaire. C’est pour me reconnaître.



1/ Je ne publie pas par vanité. Je publie parce que j’écris, parce que j’ai des choses à dire. Et à une époque où les cerveaux carburent à la dopamine et à la flemme, on ne lit que ce qui nous attire. En 2025, l’œil lit avant l’âme. Une ligne de jambe, un regard de biais, une robe de poupée, un jeu d’ombre – ce sont mes titres choc, ma porte d’entrée. Le texte est la pièce principale. Et ceux qui s’arrêtent au paillasson n’étaient pas invités à entrer. 

Je ne montre jamais tout. Ni la peau, ni le fond. J’y suis en robe, en tailleur, en jogging pourquoi pas. Jamais en maillot de bain, jamais en lingerie, jamais en quête d’approbation contre tout simplisme d’analyse. Pas par pudeur, mais par élégance. Par contrat moral. Je me suis inventé une charte personnelle : décence et cohérence. J’en suis la présidente, la seule abonnée obligatoire.  Accessible mais jamais offerte. Et mes suiveurs, je les élis. Je n’achète pas de followers, je trie mes abonnés comme on trie ses invités à une fête intime. Si tu es là, c’est que je t’ai adoubé. Que tu m’aies choisie, à vrai dire, m’indiffère presque.

Dans cette époque où les gens lisent moins qu’ils ne scrollent, je sais que tu n’iras pas déchiffrer mes textes si je ne t’appâte pas avec une image. Le fond se mérite. L’accès passe par un cliché cadré, un regard un peu perdu, un talon bien vissé. C’est la couverture du livre. Si tu n’investies pas le profond, c’est que ce livre n’était pas pour toi.



2/ Et puis je fais du sport. Beaucoup. Tous les jours. C’est un socle, mon équilibre, ma manière d’habiter mon corps au présent, une reconnaissance envers ce dont le divin m’a doté. Si j’avais un totem, ce serait un dodécaèdre avec des hématomes sur les hanches. Je mange bien. Je dors huit heures par nuit et me lève difficilement, mais avec courage. 

Il y a une satisfaction à porter un joli vêtement et se dire : « C’est mérité. » La sueur comme caution morale du tissu.



3/ Ceci étant dit, je dois à présent bien admettre que le mal est plus abyssal, logé ici dans une locution étrange et ambivalente : je sais que je suis physiquement acceptable ; oui je le sais, mais je ne le crois pas. 

C’est ma névrose fondatrice. Une fracture invisible entre le regard des autres et le mien.

Mon propre reflet me gêne, sauf quand il est encadré par un paravent.

Voilà le cœur du paradoxe. L’écran me permet de me voir comme une autre. Il agit comme une passoire magique : il m’éloigne de moi juste assez pour que je m’approuve.

Je publie dans un élan. Ce n’est pas de l’exhibition. C’est un rituel. Un souffle court. Un instant suspendu entre l’égo et le pardon.

Je me soulage. 

Peut-être même que je me montre pour mieux me planquer.

Peut-être aussi que c’est dans ce petit vertige d’exposition que je me répare.

Je n’attends rien, je vous le promets. Je ne mendie pas l’amour virtuel. Mon narcissisme est domestiqué. Ce n’est pas un appel au like. C’est une conversation silencieuse entre moi et moi, avec vous comme témoins muets. 

Comme les anges dans les vieux textes : ils regardent, ils notent, ils ne jugent pas. 


J’écris sur moi, parce que je ne sais pas faire autrement. Et parce que je me méfie des gens qui parlent trop des autres.

Et pourtant…



Les médiocres parlent de leurs semblables, des divergents. Les moyens parlent d’idées. Les êtres en construction parlent d’eux-mêmes, avec bravoure. Les grands s’accomplissent. J’essaie de m’approcher -sur la pointe des pieds- de cette dernière catégorie, même si je glisse encore un peu.

Je poste. Donc je suis.

Pas pour briller, mais pour me retrouver. Pas pour être aimée, mais pour accepter ce que je deviens. Je tiens la télécommande. L’écran est à moi. Le programme aussi.



Certaines femmes pourraient me trouver arrogante, loin s’en faut.

Ce que vous voyez, c’est la surface. Ce que je vis, c’est le doute. Mon miroir intérieur est flou. J’ai juste appris à sourire dedans. Avec des mots à la place des dents. 

Et je doute, souvent, profondément.

Elles ne savent pas que ce corps qu’elles croient affirmé est une irrésolution, une auto perplexité, une peur habillée. Et que ce qu’elles me reprochent souvent est une victoire de dernière minute contre mes propres ombres.

Je sais aussi que certains regardent mes postes avec les yeux embués de désirs mal calibrés. Il suffit d’un orteil, d’un mollet, d’un rien. Les hommes, parfois, fantasment des morceaux. Mais je n’ai jamais reçu de messages déplacés. Comme si l’intention derrière la photo se lisait. Comme si la ligne invisible que je trace était respectée.



Je poste aussi ma fille. Et la transition est sciente. Elle est l’extension rayonnante de mes paradoxes. Elle subit un peu mon obsession, c’est vrai. Mais elle pousse dedans comme une plante sous serre : à couvert, aimée, nourrie de rires. Elle est mon chef-d’œuvre. Mon reflet sans filtre.

Elle est née dans la lumière, elle vit dans mon halo. Elle hérite un peu de ma névrose, mais surtout de ma joie. Je la protège avec amour, comme une parokhet sur l’arche sainte : elle cache ce qui est sacré, sans jamais l’enfermer.

M’en voudra-t-elle ? De toutes les façons… 

De trop l’aimer et de ne pas assez respecter ses croyances qui par définition ne seront pas les miennes.

Chez nous on ne croit pas au mauvais œil. Il existe, dit-on, mais on s’en pare en gardant bon œil.
Celui qui bénit est béni.
Celui qui maudit est maudit.
Moi je la bénis elle et tout un chacun et je la préserve ainsi.
Je me contente de partager ce bonheur ultime de la voir grandir belle et espiègle et c’est parce que je privilégie cet élan-là à toute forme de regard noir qui par définition ne peut pas briser l’auréole d’amour dont je l’enroule. C’est ma façon de me pardonner mes dérives d’expositions impulsives.

Je n’ai peur de rien, de rien d’autres que de perdre ma liberté de dire et de vivre. Et j’espère lui insuffler ce trait de ma personnalité.



Chaque Shabbat, on chante une ode à la femme soi-disant, qui prononce en substance « et sur sa bouche ne résident que des paroles de sagesse et de bonté » : j’ai été éduquée avec cela que trop s’exprimer revêt quelque chose de l’ordre de la vulgarité. Mais il est un moment où souffrir le monde sans livrer son appréhension devient un purgatoire. 

Je poste pour parler de moi, voici du temps gagné sans juger.

J’expose, je ne propose rien d’autre que ma version de l’instant.

Je ne parle jamais des autres. Ce n’est pas une posture, c’est une hygiène mentale.

Je simule, je convaincs de mon éclat car je crois au pouvoir de la résonance intérieure. Je crois aux sourires, aux intentions. Je crois qu’un cœur calme fait moins de bruit, mais plus de génie, de jour et d’amour. 



Je sais aussi m’amuser. J’use de la science hertzienne. 

Je connais les heures. Les plages de fatigue cognitive, les micro-ondes émotionnelles. Entre midi et deux, à la descente du soir, au bord du sommeil. Je publie comme on entre sur un ring : pas pour frapper, mais pour viser juste. La fréquence des cerveaux est un savoir. J’en ai fait un art.

Je poste donc je suis. Mais ce que je suis change chaque jour. Je m’écris à travers l’image, je me relis dans les likes. Je me construis avec sérieux, avec humour, avec foi.



Celui qui bénit est béni. Celui qui maudit s’abîme. Moi je souris. Je bénis. Les critiques aussi. Parce que la lumière, même tamisée, éclaire toujours quelque chose.

Je vous laisse avec ce que vous voyez. Le reste m’appartient. Je suis déjà ailleurs. J’écris la suite…