Il était une fois un petit garçon juif religieux israélien à qui la foi était déjà imposée -comme s’il était possible d’être sciemment croyant à quatre ans- et un enfant musulman pratiquant palestinien dont les positions étaient déjà dictées- comme s’il était loisible en conscience de se forger une opinion à huit ans.
Pourtant, ces deux petits poussins susceptibles de me dédaigner ou mieux de me boycotter par inclinaison pilotée, allaient tous deux s’accrocher à moi, pour ne plus vouloir se priver de mon amour.
Mercredi dernier… Oui c’est ça mercredi dernier… Je me rends à l’hôpital Mayanei Hayeshoua à Bnei Brak, la Ville de Dieu comme ils la nomment… Pff, tu parles d’une arnaque, la ville des braques oui, de ceux qui n’ont rien entendu d’une religion de vie et de sa philosophie, de ceux qui n’en ont retenu que le brumeux, le superstitieux à la pelle, en omettant l’essentiel, le pourquoi de son existence, son unique sens et sa mission : l’homme, les hommes et leur bien vivre entre eux.
J’arrive donc à l’hôpital, ambassadrice pour ces précieuses secondes des Rois du Monde, fabuleuse association génératrice d’un travail monumental et tellement substantiel : ces fées – chacune maman d’un ou plusieurs enfants- offrent de leur temps aux enfants de toute confession, hospitalisés ou résidant en foyer, amenant avec elles jouets, animations et tout autre instrument d’évasion.
Elles forcent l’admiration non?
Tel un facteur d’instants de bonheur, j’arrive donc à l’hôpital, je me rends dans le service concerné, me recense auprès du personnel compétent et peut enfin aller jouer avec les enfants dans l’espace dédié… enfin il ne s’agira pas non plus de folâtrer! Les pauvres « mini logés » seront appelés un par un, comme à l’armée. Comprenez ce que vous voudrez!
La surveillante en chef me rabrouera plusieurs fois pour outrepasser « bézef » les consignes édictées : « Tu ne peux pas toucher les enfants !» un peu comme au musée vous voyez? Il était évident que je n’allais pas me priver de les câliner!
Heureusement, une maman qui veillait son enfant, pas la moins pieuse pourtant, a décidé d’intercéder en ma faveur et m’a fait l’honneur de laisser son petit ange me prendre par la main pour me raconter ses chagrins.
Mû par beaucoup de profondeur et de vigueur, par tant de finesse et d’hardiesse, le trésor luttait fort contre les insuffisances de son coeur, en attendant qu’on le lui change.
Pouvait-on deviner qu’il souffrait à l’observer ainsi s’amuser? Jamais!
Me pensait-il laïciste, laxiste ou seulement antagoniste à ses us? Pas plus!
Il a partagé avec moi ses maux, ses cadeaux, ses rires les plus beaux et quand je dus partir, il m’a serrée fort contre son corps endolori et il m’a simplement souri.
Peut-être ai-je été son premier amour? Mais est-ce vraiment gênant?
Lui, assurément, sera un des miens, pour toujours!
Je me dirige vers Jaffa et avant de regagner mon appartement et pour me remettre de mes émotions, j’opte pour un bain sur la côte orientale de la Mer Méditerranée.
Quelques enfants jouent ici et là, relâchent la pression, se poussent, s’éclaboussent et s’escarmouchent.
L’un d’entre eux semble faire ses premières brasses. Ses copains -intransigeance de l’âge oblige- le grimacent puis s’en débarrassent.
De loin, j’en suis le témoin.
Le petit coeur se met à crier d’effroi. Pourtant il sait nager, mais seul au beau milieu de cet inconnu étendu à l’infini, comment ne pas agréer ses peurs?
J’étais davantage compatissante alors, que téméraire comme je suis, je m’étais enquise trois fois et encore, auprès du sauveteur en mer, du point de savoir si les méduses n’en avaient pas déjà fait à leur guise et étaient venues nous envahir.
« Ata Mefahed? » Je tente en hébreu.
« Anta M’haouef? » Je rattrape avec mon arabe approximatif.
« Oui » , me répond-il en arabe, en me sautant dans les bras.
Je tentai de le rassurer de par toute ma tendresse et mes caresses.
Il s’était agrippé à moi comme si j’étais le rempart à tous les dangers et il ne voulait plus me lâcher. Et moi, me demanderez-vous? Je ne l’avais même pas envisagé.
Il a passé un long moment, son regard apaisé par nos deux mains entrelacées, à me raconter qu’il venait de là-bas, de l’autre côté et qu’il avait traversé le mur, comme souvent « bien sûr » m’asserta-t-il, pour rendre visite à sa famille, qui vit ici, à Jaffa, cette ville séculaire, majestueuse et harmonieuse où cohabitent juifs et musulmans, en paix et sans tourments…la plupart du temps!
Etait-il malheureux ou différent des autres enfants qui composent l’univers? Il affirmait le contraire.
S’était-il soucié de ma judéité lorsqu’il s’était réfugié contre mon sein? Non, cela va de soi! Comment c’aurait pu être un frein? Un enfant c’est sain, un enfant ne voit que l’humain.
A cet instant et pour l’éternité, je me suis fait une promesse, non mieux une délicatesse, celle que jamais je ne cesserai d’éprouver au travers de mon âme d’enfant, que jamais mes yeux ne distingueraient autrement.
On me traitera d’ingénue, ce n’est pas grave, car je préfère encore y avoir cru que de me livrer de bon gré aux idées reçues.
A ces deux enfants…