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Couper, coller.

Il y a un âge – entre la dînette et la philo – où nos petites filles deviennent punk revêches et coiffeuses clandestines.

Un matin, l’idée leur vient comme ça… 

Mieux vaut-il qu’elles soient seules! Ma fille, elle, avait eu souscrit à l’assurance dispute modérée en s’achetant la complicité de l’une de ses amies les plus proches, les plus réceptives à son espièglerie. 

Elles se saisirent de ciseaux à mon insu, avec la détermination d’un chirurgien de guerre et la grâce d’un éléphant en roller. 

En dix secondes, elles se taillèrent une frange conceptuelle : asymétrique et trop courte. Le parfait cliché.

Je me souviens avoir tondu une Barbie jusqu’au crâne ou improvisé un carré approximatif à une poupée jadis ravissante, aujourd’hui recalée de l’école de la beauté.

Alors je les ai un peu grondées, pour la forme mais au fond j’ai ressenti de la satisfaction. J’avais réussi quelque chose : ma fille. Ce dont nous devons pourvoir nos enfants c’est exactement de cela : l’autonomie de leurs élans, le contrôle de leur propre monde; la maîtrise et la raison naîtront de leurs expérimentations. 

Ma fille plus que jamais avait découvert l’un de ses pouvoirs : celui de créer avec en sus un bonus, ses passions emportent l’émotion.

Elle a entre les mains une tête, la sienne ou celle d’une pépée et elle peut la transformer. Puissance de décision immédiate et visible. Or, quand on est enfant, cette aptitude est rare. On ne décide ni de ce qu’on mange, ni de l’heure du coucher, ni même de la météo. 

Pourtant là : snip… 

Ma fille et son amie cette fois-ci, mais tant avant elle, combien après!

La scène est souvent la même. Un silence suspect. Une chambre trop calme. Puis l’apparition d’un petit être fier, qui vous annonce avec un sourire d’architecte de l’éphémère :

— Regarde maman, je l’ai rendue plus belle.

Et là, on découvre la plus jolie des représentations plastifiées désormais égérie officielle d’un salon de coiffure post-apocalyptique.

Couper, c’est si extraordinaire parce que c’est transformer l’univers. C’est un acte magique. Les cheveux tombent, le visage évolue, la poupée mute. Une toute-puissance de poche, accessible sans effort. Le monde est encore si flou, les règles imposées par les grands, mais là, pour une fois, c’est elle qui dirige. C’est elle qui sculpte comme papa. C’est elle et non maman qui se rend chez le coiffeur dans son atmosphère imaginaire. 

C’est beau l’imaginaire, on les en abreuve et c’est heureux. 

Dans les dessins animés, on change de look comme de chaussettes. On a bien vu Mulan raccourcir ses cheveux pour aller à la guerre et elle avait l’air si « badass ».

L’enfant est un chercheur. Elle veut comprendre ce qui se produit quand on agit. Elle veut voir, tester, constater. La vie ne s’apprend pas par consigne, mais par expérience. Même capillaire.

Et parfois, c’est plus profond. Une Barbie punie pour une trahison dans un scénario intérieur alambiqué. Une poupée qu’on “sauve” d’un look raté. Une tentative de réparer ce qui ne convient pas, de refaire l’ordre à coups de ciseaux.

Une poupée abîmée, c’est aussi une personne qui a « mal agi » dans l’intériorité de l’enfant. Elle peut sanctionner en écimant, transposer sa colère, son chagrin ou au contraire soigner une Barbie qui « va mal », en la relookant pour la panser un peu.

Se dissimule tout son théâtre émotionnel derrière une transgression.

En somme, ce à quoi une petite fille s’adonne ici n’est jamais « juste une bêtise ». C’est bien souvent un acte chargé de sens, artistique ou rebelle, toujours profondément humain.

Et c’est le prélude à cette relation ambivalente avec son image qu’elle se prépare à affronter toute sa vie durant  : le désir de ne plus être ce qu’elle est, de se dépasser, de se déplacer, de plaire, de s’imposer — ou de tout recommencer.

Alors bien sûr, nous, les grands, on consigne la catastrophe. L’irréversibilité. 

On pense : photo de classe, cheveux qui ne repousseront pas d’ici lundi et Barbie qui ressemble désormais à un légume oublié dans le bac du frigo. 

Mais pour elles, c’est un acte artistique, sensoriel, existentiel même.

C’est leur premier manifeste de liberté.

Un jour, elles comprendront qu’on peut modifier la réalité sans tout décimer.

Mais en attendant, elles apprennent. À grands coups de mèches.

Alors, j’ai joué un peu l’offusquée mais consciemment, perpétuellement, j’ai souri du cœur, comme toujours grâce à elle.