Justice sauvage

 

« La justice, ça se rend, ça ne se vole pas! » Fernand Raynaud, France Inter, 14 novembre 1967.

Je lis ce matin, un article sur l’AGRASC, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Il s’agit d’un établissement public administratif placé sous la double tutelle des ministères de la Justice et du Budget, créé par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Déjà, je tombe des nues. Puis je continue la lecture… Ladite loi est entrée en vigueur suite à la publication du décret en Conseil d’État en date du 3 février 2011, inséré dans le code de procédure pénale aux articles R. 54-1 et suivants. J’étais vraiment passée à côté!

Cette loi, afin de mieux appréhender les profits générés par la délinquance et le crime organisé –entendez ce que vous voulez- et, ce faisant, de renforcer l’effet dissuasif de la sanction pénale, a élargi le champ des biens susceptibles d’être saisis. Elle a également créé une procédure de «saisie pénale spéciale aux fins de confiscation» «plus adaptée» -nous assure-t-on- que les procédures civiles d’exécution, «complexes et coûteuses». Cela ressemble bien à un véritable mode de justice privée! Et voilà que l’on nous remet en cause les bonnes vieilles procédures que les élèves en droit, à l’unanimité, peinent à apprendre tant elles sont riches et sophistiquées afin justement de garantir l’équité…devant les tribunaux.

Non, non, non, attendez, sans doute que la composition de ladite agence en est le garde-fou?! Voyons cela, elle est dirigée par un magistrat de l’ordre judiciaire et dotée d’un conseil d’administration également présidé par un magistrat de l’ordre judiciaire, elle est composée d’onze agents provenant des ministères de la Justice, de l’Intérieur et du Budget. Ah oui super, alors là c’est sûr, aucune influence ni des convictions personnelles de ceux qui la constituent, ni des orientations politiques de la tendance au pouvoir… On se fout de nous là!

Je crois que tout le monde connaît sur son propre air, de sa propre manière, ce dicton russe pas tout à fait abscons, pour ne pas dire con «ne te méfie pas de la justice, crains plutôt le juge». Et parce qu’ils seraient onze, son impartialité serait préservée? Mais ils sont onze en provenance de la même gouvernance, ils ont la même attirance, font la même révérence et ils sont l’Agence! Ainsi, au lieu que le pouvoir ne dispense la justice, c’est la justice qui se transforme en une forme de souveraineté arbitraire et autoritaire, tributaire plus qu’on ne le permettrait de l’aléa et du mandat. Ne trouvez-vous pas que la justice prend un tour d’inélégance, une quasi-sous-traitance…de la vengeance? Dois-je apprendre à Monsieur Sarkozy (parmi de nombreux échantillons qui nourrissent la leçon) combien les coquilles, même démodées, compromettent face au Parquet?

Plus grotesque et abracadabrantesque encore, l’on procède aux dépossessions sans distinction. Quelque soit la catégorie du délit commis, la privation sera assortie d’une habilitation sans restriction. Vous devinez alors que l’on s’en donnera davantage à cœur joie en ce qui concernera le chef d’entreprise qui créait de l’emploi mais que l’on plonge dans le désarroi pour le considérer hors la loi quelque soit le cas, que le meurtrier sans objets. Ah oui, car j’oubliais de préciser, in fine tout ce qui est confisqué est versé peu ou prou dans les caisses de l’Etat aigre-doux ou dans sa boîte à bijoux.

Pour résumer et sans rentrer dans les détails du champ de bataille, les sommes saisies sont précautionneusement placées sur un compte ouvert au nom de l’Agence à la Caisse des Dépôts et Consignations et il est procédé à la vente des biens meubles saisis par les magistrats lorsque ces derniers estiment « qu’ils ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité et qu’ils sont susceptibles de dépréciation », entendez dix fois sur dix!

A la Une du Parisien le 30 octobre dernier: « A vendre : yacht, hôtel particulier, vignoble » et j’en passe et des meilleurs!

On dit que justice et politique sont ruine de patrimoine, oui mais pas du patrimoine de l’Etat. Ce sont vingt-huit mille huit cent cinquante et un biens qui auraient été ainsi confisqués en deux ans, lors du déroulement de quinze mille affaires et un petit milliard d’euros en liquide. Et la belle AGRASC a élu domicile rue de Richelieu, élection et prédestination!

Elle est considérée comme l’un des services les plus discrets de l’Administration, je vous l’ai dit, j’étais complétement passée à côté; seulement, ironie du sort, Jérôme Cahuzac, de concours avec Christiane Taubira, signent un papier dans lequel ils « félicitent les équipes de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) pour la Victoire de l’organisation, pour la fonction publique d’Etat, reçue lors des Victoires des Acteurs publics, le 13 décembre ». Là, ça devenait vraiment difficile de passer à côté!

Pris à votre propre piège, Monsieur le Ministre, au pire il vous restera toujours l’exil pour recommencer la vie que l’on vous aura confisquée.

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