Itinéraire d’un combattant

La violence, cette vilaine violence, celle qui exclut bienveillance et élégance, qui se recommande de la réplique, mais n’est que le reflet d’une faiblesse fréquemment pathologique.

Qui serait prêt à faire l’apologie de la violence quand l’on entend aux informations les dégâts qu’elle apporte dans son bagage et les souffrances qu’elle engage? Qui peut accepter la dégradation, la détérioration, la dévastation, la destruction? Qui peut soutenir le vandale ou le brutal? Qui peut louer le comportement de ceux qui matérialisent leur mécontentement en cassant, pillant, brûlant ou même violant? Qui peut justifier le violent?

Pourtant, la violence n’est pas souvent le dessein mais seulement le moyen; elle ne vient donc pas nécessairement exprimer la cruauté du méchant. Elle est d’ailleurs bien souvent le produit d’une absence de bonheur, la suite d’une carence affective.

Oui, la violence est en chacun d’entre nous, nous la portons tous, de façon plus ou moins nuisible ou tout simplement perceptible; même le plus doux peut enfouir le plus fou et il faut bien qu’elle sorte, qu’elle soit évacuée sous peine de déborder. N’y a-t-il pas pire violence que le silence?

Je me suis donc interrogée sur l’extériorisation suprême mais assurément contrôlée de la violence: le sport de combat. Je dis assurément mais tout de suite je doute car je peux bien imaginer qu’il s’agisse tout autant d’une tendance fantasmée au suicide, honneur sauf, d’une auto-flagellation dans la considération. Alors bienfaits ou méfaits?

Voici l’itinéraire d’un mercenaire de la vie.

 

Né en 1975 à Constantine, voilà qu’un petit garçon frêle au regard fort, passant par le pays de l’érable et du castor, débarque en France, accompagné de son grand frère et de sa digne mère, plaqués sur le chemin par l’indigne père. Ils s‘installent sans le sou à Toulouse, puis très vite se voient contraints de refaire les valtouzes, destination Evry-Courcouronnes.

Ce petit garçon respecte, aime et aide sa maman comme seul un adulte saurait le faire, quand il sait le faire…

La vie, pour lui, n’est pas un long fleuve tranquille, elle est même plutôt difficile; le petit gars n’a que le sol pour plumard, la baignoire comme dortoir, jusqu’à ses douze ans! Mais il est si vaillant, c’est sa couche et il ne fait jamais la fine bouche. Jamais il ne se plaint, ni ne geint, jamais il ne criaille, son refuge à lui c’est les étoiles… Quand il les contemple, il y voit le plus beau des exemples; c’est ça, le soir, il voit de l’espoir! Un jour à la télé -d’un copain du quartier- il découvre Albert Einstein et sa vie, ce cancre de génie, cet autodidacte de splendeur, incapable de poursuivre des études supérieures et pourtant professeur. Il se prend de passion pour la théorie de la gravitation, et c’est cela qu’il trouve dans les étoiles: la relativité générale. Elle déterminera tout son parcours: comment « se prendre pour » quand on sait qu’il y a des milliards d’étoiles dans le ciel, que la Terre ressemble à un grain de sel et que nous sommes mortels?

Le petit garçon joue au foot, au Parc des coquibus, mais il ressent une frustration à la hauteur de ses émotions. Personne n’a envie de se battre comme lui, personne ne se donne comme lui, personne ne sait comme lui, personne n’a peur comme lui…

Il a peur? Mais quelle ardeur… Il a décidé de devenir ingénieur et s’il le faut, il y laissera son cœur. Livreur, vendeur, moniteur, il accepte tout pour un sous, il lève les blocs de bêton au bout de ses mains blessées, il veut s’offrir une chance de s’approcher de son étoile irisée.

Et voilà ce que son étoile lui dévoile: un jour, alors qu’il défendait son frère avec beaucoup d’hardiesse face à quelques baroudeurs, sonna son heure. Boxeur amateur mais sacrément vigoureux, un type se posta devant la baston, sans prêter main forte, pour examiner le cloporte en pleine action. Une fois que le petit gars les eut mis K.O., le boxeur le pris par le col: « eh toi, tu veux te chiquoter, suis-moi, viens t’entraîner! ». Le garçon, jouant les braves jusqu’au bout, l’accompagna. Dans la salle, il repéra un blanc tout roux « c’est avec lui que je veux boxer »! Et là, il comprit qu’il s’était bien trop avancé, juge de vérité, il se fit dérouiller. L’agressivité il l’avait, mais les règles, les valeurs du noble art, il les avait laissé au placard… Il devina instamment ce qui lui manquait jusqu’alors, une famille de Grand-Guignol au poing dur mais au cœur pur. Il promit, il se jura même qu’un jour il serait parmi ces maîtres de l’art le plus laborieux, le plus épineux, le plus douloureux, le plus dangereux mais le plus précieux et le plus valeureux des arts du feu.

Au début, il n’était qu’orgueilleux et il se battait pour exister, y a-t-il plus simple que de se servir de ses armes physiques, de se confronter pour subsister? Il eut d’ailleurs son diplôme d’ingénieur, ce qui lui conféra une double reconnaissance, une double destinée. Mais il grandit et un soir, alors qu’il rentrait du travail, en passant par les beaux quartiers de la capitale, dans une rue calme et chic, il assista à quelque chose de bien plus terrible que lorsqu’il montait sur le ring; un homme, au style fameux, fureur dans les yeux traînait sa femme par les cheveux lui soufflant des mots terrorisants et menaçants. C’est là qu’il se mit à réfléchir à la violence? Pourquoi la violence de celui qui a tout est honteuse, quand pour celui qui n’a rien elle est haineuse? Est-elle génétique ou déterminée par le parcours d’un homme? Est-elle nature ou éducation? Comment se déclenche-t-elle en fonction du milieu social? Finalement naît-on violent ou le devient-on? Et lui-même était-il violent? Il se refusait en tout cas à légitimer quoique ce soit par les épreuves que la vie met sur son trajet, elle avait bien été peu accommodante avec lui et il affirmait pourtant que c’était sa turbine non sa débine. Il admettait toutefois que sur une même planète, les gens viennent de mondes bien différents, que l’inconscience du décalage peut générer quelques désastres et que le Monde avec un grand M est bien plus hermétique à ceux qui n’ont pas accès à la culture, typiquement à l’immigration moderne. Pour lui donc, il y a bien deux catégories de boxeur, qu’il soit professionnel ou qu’il boxe pour s’en sortir: celui qui ne sait pas, qui ne se cultive pas et qui ne relativise pas, qui ne peut donc contrôler sa chute et celui qui a eu la chance de graviter dans d’autres sphères.

Cette question de l’agression, difficilement soluble allait le suivre aux combats et c’est à partir de là que ces derniers obtinrent pour lui une fantastique vertu thérapeutique. Il savait maintenant qu’il frappait pour s’échapper des violences de la vie. De la lâcheté? Bien au contraire… Car voilà le sport le plus traumatisant que la terre ait porté et à mon sens le plus valorisant. L’immonde, le couard, le trouillard c’est le succube, le démon qui ne connaît pas les siens et les impose à son ou sa bien-aimé(e), à autrui, à sa vie.

Une pensée pour les malheurs, agressivité assurée, une pensée pour les bonheurs, concentration enchantée puis tu montes, tu crées ta propre atmosphère, ton énergie se transforme en enveloppe corporelle naturelle, de planète tu deviens étoile, tu fustiges, tu heurtes, tu marques, tu commotionnes, tu assommes, bref tu boxes et tu gagnes. Puis à son tour, le monde gravite autour de toi, comme si tu étais le soleil et les autres étaient la terre. Mais en boxe, tu ne triches pas, tu sais que tu peux donner la mort et tu flirtes avec ton sort jusqu’au jour où tu le comprends et là ton combat ce n’est plus ton adversaire c’est toi-même; alors là oui c’est le couronnement mais aussi l’aboutissement, pour te transcender il te faut plus de temps, c’est vital pour une victoire finale il faut que tu redeviennes animal et amoral.

Il arrêta de boxer à l’âge de trente cinq ans, mais alors que l’Einstein des quartiers auraient pu tomber dans la déchéance à l’instar de certains de ses frères de combat, faute d’adrénaline, il choisit de garder tous ses sens en éveil; il aurait pu re-devenir ingénieur conseil mais il décida d’offrir un petit bout de son étoile à ceux qui en avaient besoin, qu’il s’agisse de la femme des beaux-quartiers ou du jeune de cité.

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