Je prends le risque d’aimer

Coutumièrement, mon âme se maquille.
Non, elle ne ment pas!
Elle camoufle simplement ses tourments sous un frontispice de Miss bien heureuse.

Il est tard… Mon âme est soucieuse, mon souffle s’accélère à mesure que mes pensées fourmillent, mon regard s’éparpille par peur de se trouver en toi, par peur de se reconnaitre en ton être, de se plaire en ton coeur.

Et si, soudainement, audacieuse, elle décidait de prendre le risque de ne voir que toi?

La malheureuse, un moment, s’apaise, puis peu à peu, se ronge les sangs jusqu’au malaise. Non pas qu’elle réprouve ton amour, elle le ressent, lénifiant, fascinant, mais elle éprouve ce que toi tu es, parce que justement ce qu’elle voit à cet instant c’est toi.
Oui toi, toi le soleil inversé, toi le voyageur qui te démène, le promeneur d’idées qui survole la réalité, toi qui te fais le porte-parole de tant de vies brisées, toi qui te revendique de la lignée du danger comme d’autres le feraient d’une filiation rabbinique, alors qu’il s’agit davantage d’une passion que de gènes homéotiques.

Face à toi mon coeur et surtout à ces horreurs, à tous ces Amok en pleine décompensation névrotique, trop mesurés pour se faire mourrir mais bien assez chargés de frustrations pour te les faire subir, faut-il prendre le risque de sa propre vérité et de sa réplique en retour ou pire d’un soupir libéré, plus assourdissant qu’un rugissement?
Doit-on prendre le risque d’être ce que l’on est, s’y hasarder et s’en élever si tant est que l’on sache s’en relever?

Je pourrais vous proposer de vous renseigner auprès de Christian Grey, mais vous me prêteriez alors des lectures obscures, discutables et peu recommandables, que je n’ai pourtant jamais eues. Mais si, je vous jure!

« Qui ne risque rien n’a rien » adorent seriner les français et force est de saluer leur épatant discernement. Toutefois, plus prudent, nos amis québécois s’efforcent eux de définir un seuil : « qui risque un oeil les perd les deux »!
Chance et opulence pour les ambitieux…à condition d’être précautionneux.

Livrer sa vie à l’aléa, à ce qu’on ne choisit pas, c’est piquant, excitant, euphorisant même, mais qu’on le veuille ou non, l’absence de maitrise nourrit l’espérance, attise les malveillances et bien plus vite qu’on le croit, on se retrouve à courir après le train et on finit par mourir de faim.
Ah, faire confiance aux honnêtes gens déclarés, ça c’est risqué! La plus vive des insécurités se situe là, dans les promesses de ceux qui -faute d’avoir ton hardiesse- se joueront de ta profonde détermination, de ta féconde obstination, la faisant passer pour une effrontée alors qu’elle n’est que sage ténacité, la mobilisant au service de leurs propres volontés alors que la véritable bonté porte en respect le courage.

Croyez-moi, quand il ne s’agit plus de conquérir, mais d’induire à partir d’une intuition ou d’un faisceau d’éléments concordants et discordants, lorsqu’il arrive qu’il faille en réduire le champ des actions et des possibles, chaque mot et chacun de tes maux, chaque mouvement, chacun de tes haussements et de tes hochements, chaque silence seront d’une importance irréductible!

Mais après tout, ce n’est pas parce que l’on crie au loup qu’on ne finira pas par se faire dévorer.

Alors évidemment, en tant qu’artiste revendiquée, dans ma sphère douce-amère où tout est imperceptible, debout sur les planches où tout peut être capturé, incarné, habité, prononcé, agrippée à la manche de « l’oser » jusqu’aux genoux de la mort, il me serait difficile d’être crédible à me lancer dans un plaidoyer anti-péril!

Parfois c’est douloureux, mais tant mieux!

J’ai été éduquée ainsi, à la lumière de Rabbi Nahman de Bratslav qui enseignait « Ne demande pas ton chemin à celui qui le connait, tu risquerais de ne pas t’égarer » . Après tout, celui qui sait parler risque-t-il vraiment d’errer sans se retrouver?

J’ai grandi ainsi, avec Théodore Herzl pour digne modèle -accusé de propager l’antisémitisme par les uns, d’alimenter de vains utopismes par les autres- qui lutta fort pour Der Judenstaat et qui mérite que l’on se batte pour nos idéaux, nos valeurs et notre honneur, nos seuls trésors.

Alors penses-tu…
Crois-tu que quelques mal intentionnés réunis en troupeaux de moutons facétieux ont eu raison de mes rêves?
Ces humiliations -qui n’ont fait que rendre mon échec spectaculaire- n’ont pas fait moins bien que d’aiguiser ma sensibilité et me rappeler encore une fois qu’il faut éviter l’évidence au profit de ce qui se terre derrière elle, ce qui jamais ne devait être découvert mais que l’on finit par remarquer dans une absolue discrétion, savoureuse et voluptueuse.
Céder à ses « a priori «, quelle connerie! Derrière les choses résistantes, se cachent les découvertes les plus intéressantes! Pauvre science, si à votre instar, elle déployait la méfiance comme étendard!
Pour l’heure, aucun syndrome de l’imposteur, aucun sentiment d’illégitimité n’ont réussi à mettre à feu et à sang mon royaume, ni n’ont fait céder ma générosité et je me préfère cette victoire à toute forme de gloire!
Comme dirait René Char, à me regarder, ils finiront par s’habituer!

C’est vrai -bien sûr- je ne vais pas vous mentir, il m’arrive souvent de me convaincre que j’ai fait semblant de grandir et de me persuader que tout reste à accomplir. Mais je sais, je sais bien que j’ai l’âge d’arrêter d’être déçue, de cesser d’aimer et de croire en la bonté du premier venu, je le sais! Mais puis-je m’y résoudre? Non, qu’on me donne encore à en découdre!
Je ne me berce pas d’illusions, je veux juste continuer à faire l’expérience de l’émotion.
Non pas du tout, je ne me berce pas d’illusions, je suis pragmatique, je sais bien moi que l’amour n’existe pas, qu’il n’est qu’invention, un antalgique, une tactique, une douce musique pour détourner l’attention du guerrier ou panser les plaies de l’esseulé! Une pure hallucination, un mirage dont s’éprennent les créatures à tout âge qu’on les y emmène.

L’être humain tombe-t-il amoureux de ce QUELQU’UN qui le dépasse? Non, car alors nous serions sains, progressistes, utopistes mais entre de bonnes mains.
Non l’être humain s’amourachera plutôt de QUELQUE CHOSE qui le dépasse… L’insaisissable, l’indéchiffrable même à l’aide d’un bon guide en guématria -non pas l’inaccessible passé l’âge ingrat, ni le mystique, ni même le sibyllin énigmatique- non…, seulement l’inintelligible, la part imperceptible d’un diamant.

Une illusion, vous dis-je! Non pas que l’on croit ce que l’on veut voir, mais on voit ce que l’on veut croire!

Pourtant on n’aime pas celui qui n’est pas foncièrement bienveillant avec nous, on se complait dans l’illusion du sentiment d’aimer, en se persuadant qu’on a eu à faire à un Mensch, celui qui se clame aussi bien valeureux qu’il te regarde dans les yeux, celui-là même qui t’a caressé l’âme le long de quelques humeurs, embrassé le coeur pour une heure et qui ne te rappellera pas, par manque de considération sans doute ou par simple évitement peu importe.

Je parle de l’homme bien sûr. La femme, elle, ne peut pas être soupçonnée ni reprochée, puisqu’à aimer, elle y risque son honneur. A la bonne heure! ,)

Encore une fois, ne pensez pas que ce marasme ait freiné mon enthousiasme, oh non jamais! Je crois en l’humanité et je m’entêterai à aimer.
« Même si on risque de pleurer un peu lorsque l’on s’est laissé apprivoiser » disait Antoine de Saint-Exupéry par la voix du Petit Prince.

Cette semaine, c’est le premier anniversaire de ton décès ma mamie chérie, que nous avons l’intelligence de célébrer chez nous et oh combien c’est une fête quand on a eu une vie remplie et honorable comme la tienne!
Ma chère indépendante contrariée, digne épouse d’un médaillé des évadés, femme mystère et peu banale, dont la bravoure n’a d’égal que l’amour que tu portais à tes enfants, petits-enfants et à Pierre, toi qui me répétais souvent qu’il était important de me souvenir de ne jamais me marier -et je devine ce que tu as enduré, je te lisais et sais si bien ce que tu signifiais- malgré tout mamie, eh bien de là où tu es, force est de te contrarier. Je prendrai le risque d’aimer pour l’éternité!
C’est de ta faute mamie, toi qui m’as fait un papa poète pour nourrir mon idéalisme, ou l’inverse je ne sais plus très bien ,).

Je vais aimer pour l’éternité. Parce que je préfère prendre le risque d’être emportée par un trop plein de vie que de périr d’ennui.

Avec tout mon amour.

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