La France hait l’argent

Un dimanche soir, alors que le soleil caressait encore les cimes de la charmante ville de Positano, un jeune fiscaliste et un écrivain de renom -qui ne se connaissaient alors pas- s’apprêtaient à rentrer à Paris, après un doux weekend loin des vives tensions de la capitale. A la même heure, en France, une chasse aux sorcières (entendez aux « riches » ou + réalistement à l’investisseur, brillant auto-entrepreneur ou à l’artiste, moteur de la machine économique française) était vastement engagée.

Devant la porte d’embarquement, se dessinaient distinctement deux files: l’une bien fournie, l’autre comptant quatre personnes, un couple et nos deux protagonistes. Ils avaient acheté le privilège de grimper en premier dans l’avion, mais les autres passagers, certains par ignorance, d’autres par arrogance, n’appréciaient pas vraiment ce statut prioritaire et l’un des passagers lança un savant mais inutile « ils se croient au-dessus de tout le monde ceux-là, ils ne peuvent pas faire la queue comme tout le monde?! » Le businessman au tempérament bouillant s’empressa de répondre, sourire satisfait imprimé sur les lèvres, « sortez donc douze euros de votre poche Monsieur et rejoignez-nous ». A ce moment-là, l’écrivain se retourna vers lui intéressé; personnage discret qu’il était, il y avait bien pensé, sans pour autant vouloir donner de l’importance à cette remarque ni risquer de se porter au centre de l’affaire. Leurs regards se croisèrent alors et dans quelques minutes, une discussion allait s’engager…

A priori, tout les opposait, à part peut-être cette délicieuse façon d’incommoder, d’indigner, de bouleverser la norme et les codes entendus; mais le temps d’un voyage, ils allaient se découvrir une affinité toute particulière autour de l’épineuse question des aspirations politiques et fiscales de la France. Tout les opposait vous dis-je, c’est un cliché mais c’est vrai: l’écrivain était culturellement de gauche et vivait simplement, il était calme et réfléchi, érudit même, mais atteint d’une virulente schizophrénie, entier à la fois de ses opinions tranchantes et assumées et de la gêne que sa légère notoriété lui faisait ressentir; le fiscaliste était, lui, de ceux que l’on nomme « nouveaux riches » et n’en était pas peu fier, il était réactionnaire à la voix et à la voie claires, à l’allure notablement haute pour ne pas dire hautaine, sourire franc constamment affiché sur le visage et volontairement révélateur de résultats, l’échec, pour lui, n’était pas en option.

Le premier, encore, avait écrit plus d’un ouvrage à scandale désignant notamment la religion comme la manne des faibles et l’unique responsable de l’impuissance et de la cruauté mondiales, le second avait inventé le pied-de-nez aux autorités, proposant des montages sociétaires parfaitement légaux destinés à éluder ou amoindrir l’impôt. De quoi énerver…

Tout les opposait…Et pourtant…Chacun y allait de son plus bel argumentaire, son plus beau commentaire, sa plus belle anecdote pour s’entendre sur la déchéance socialo-financière de la France et la catastrophe de sa gouvernance.

Notre écrivain de talent donc, comme on le devinerait aisément, vivait dans un quartier animé, jovial même, celui desdits « bo-bo », mais il constatait que depuis quelques temps l’ambiance était devenue bien plus électrique qu’il ne l’avait connue pour ne pas dire hostile. Il y avait même au marché du quartier des tee-shirts et autres tasses prônant la haine anti-juifs et maintenant la haine anti-riches. Il se faisait alors, depuis quelques années, au travers de ses romans enseignants, le porte-parole d’une France lasse de toute cette outrancière communication autour de ladite crise, de cet entretien de la terreur et de ces clivages volontairement alimentés au sein d’une population historiquement progressiste dont il maitrisait parfaitement le contenu. « Elle est bien loin la France Des Valises, elles sont bien loin nos trente glorieuses… Ne faut-il pas qu’il y ait toujours quelques élites qui en soient la tête de file afin de la porter à bout de bras et créer de l’emploi au grand bonheur de ceux qui n’ont légitimement de cesse de réclamer du travail? »

Notre fiscaliste était bien de cet avis et à défaut que la France ne sache encore attirer l’investisseur, autant qu’elle conserve en son sein les consommateurs. C’est bien ce que le brillant jeune homme peinait à organiser: fuite des capitaux certes mais c’était déjà à l’ordre du jour et cela s’avérait donc inéluctable; en revanche, grâce à lui le pays conserv(er)ait au moins la chance de compter parmi ses habitants l’homme qui consomme, le chef d’entreprise qui acquiert voitures, immeubles et autres biens dont elle tire sa richesse, si richesse il y a encore. Et le fiscaliste se mit à confier à son voisin : « Figure-toi »… Ah oui ça y est ils étaient passés au tutoiement – entre anarchistes on se dit « tu » – « figure-toi que l’autre jour je dinais avec ma femme dans un restaurant de quartier et à quelques secondes de notre première fourchette, quatre hommes d’une cinquantaine d’années sont entrés et se sont assis à la table d’à côté. Ils avaient visiblement une aisance tout à la fois comportementale et financière, qui, alliée à un fantastique charisme et à une joie de vivre apparente, ont attiré notre attention. Au début, on les imaginait parisiens et peut-être pourvus de hauts postes dans les BTP, mais au fur et à mesure que leur conversation avançait, on devinait un plaisant accent corse et l’on comprenait qu’ils avaient investi dans des clubs de football à l’échelle européenne. L’un d’eux se mit à raconter, avec beaucoup d’humour, ses déboires avec les forces publiques et la justice française et ses compères ont pris sa suite, sur le même ton. Nous avons assisté pendant quelques heures à un récit hilarant, comme à une pièce de théâtre, au rythme de plusieurs actes, décomposés en quelques gardes-à-vue et autres investigations policières. Nous comprenions, quand bien même l’amalgame aurait pu facilement être commis, qu’ils n’étaient ni escrocs, ni a fortiori criminels et que l’acharnement qu’ils avaient subi était plus de l’ordre du vindicatif que du constructif, coupable qu’ils étaient d’avoir réussi leur vie. La soirée n’était pas finie car à l’instant où nous nous apprêtions à quitter la table, s’installèrent à notre droite deux hommes au visage familier et, crois-le ou non, à nouveau le mot fut lâché, « il vient juste de sortir du  bureau du juge »; c’était de Stéphane Courbit dont il était question. La soirée en devenait burlesque : interrogatoires, commissions, cent, deux cent, trois cent mille euros pour les premiers, quatorze million pour le second! A croire que la France hait le succès. »

L’écrivain l’interrompit et surenchérit « mais tu réalises qu’ils sont sur le dos d’un des vingt hommes les + riches de France, selon classement officiel, pour avoir reçu par l’intermédiaire de l’une de ses nombreuses sociétés, une donation certes d’une somme colossale mais que lui-même possède déjà largement? Qui te dit que cette dame n’a pas simplement eu envie d’investir son argent dont elle déborde dans une société dirigée par un homme qui sait produire du qualitatif et du quantitatif? Et pourquoi, sous prétexte qu’elle n’est plus de dernière fraicheur n’aurait-elle pas le droit d’adhérer à une cause ou à une autre, à un projet ou à un autre et de placer ses sous où et comme bon lui semble? Ah oui c’est toujours cent quarante trois millions de moins pour ses héritiers et quelques millions d’autres par-ci et par-là, mais il leur en restera toujours autant va! Je lisais que Montebourg en a encore fait une bien belle! Voilà que selon lui, « les  nationalisations temporaires sont l’avenir de la politique économique de la France » Bye bye les investisseurs étrangers! »

« Une montebourde de plus! » lança le jeune homme à l’humour cinglant et il ajouta encore: « le marché immobilier est saturé par la revente de biens d’exception qui jusqu’alors appartenaient aux étrangers dont personne ne veut ou ne peut faire l’acquisition. Mais pire encore, ce sont les investisseurs français qui se sauvent. J’entendais Monsieur Marc Simoncini, fondateur entre autre du fameux Meetic, qui répondait aux questions des journalistes; porté pourtant par un immense respect pour la France, attaché qu’il est -attaché que nous sommes tous- au pays dans lequel nous avons grandi et dont on nous a si bien conté les louanges à l’école, il affirmait qu’il lui était bien sûr impossible de conseiller à ses enfants de s’établir en France tant la fiscalité de l’entreprise y est confiscatoire et que lui-même ne s’était pas alloué de revenus depuis quelques mois pour éviter de subir les méandres de la dure loi de l’impôt. Notons que c’est là la solution choisie par pas mal de ceux qui peuvent se permettre de vivre sur leur réserve et que le gouvernement affirme pourtant vouloir viser pour redresser le pays. Faille inéluctable du système: les riches s’en vont ou trouvent le moyen de ne pas s’encombrer de l’impôt, les entrepreneurs ne créent plus et par ricochet l’emploi n’est pas nourri; que l’on s’attarde une instant sur les chiffres du chômage! Et avec ça, l’avenir est toujours aussi si ce n’est plus incertain! Je ne détiens pas la solution et toi non plus sans doute, mais je me demande bien quel produit pourrait redonner une force attractive à notre magnifique pays; si les nouvelles technologies sont maquées par l’Asie, les ressources naturelles par les pays Arabes et la bourse par les pays Anglo-saxons, que reste-t-il à la France pour exporter et relancer la machine économique? N’est-ce pas la bonne problématique? Ou alors nos gouvernants ne veulent-ils pas finalement redonner force vive au pays des pays? A croire que la France hait l’argent…En tout cas, elle le fait fuir! »

Selon le journal de 20 heures de France 2 du jeudi 3 novembre 2011, l’évasion fiscale était officiellement évaluée à cinquante milliards d’euros par an en France, peut-être soixante milliards l’an passé. Si la France adoptait une amnistie fiscale, sur le modèle d’autres Etats en crise comme l’Italie, l’on devine qu’elle en rapatrierait autant sinon plus. Mais le gouvernement semble préférer sa propre dignité à celle de son pays.

Alors, lorsque le voyage toucha à sa fin, les deux hommes se saluèrent et l’écrivain ne négligea pas de demander son contact à l’homme d’affaire, on ne sait jamais il pourrait bien en avoir besoin.

4 réflexions au sujet de « La France hait l’argent »

  1. Zeustef

    Une bonne plume, un style légèrement ampoulé pour une histoire avec de grosses ficelles et des clichés en Polaroïd. Je n’ai pas le temps (et pas envie) d’argumenter tant la fiction est loin, très loin de la réalité.

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  2. smousse

    Le businessman, le voilà celui que l’ on surnomme nouveau riche.

    Ignorant ce qu est la valeur travail, ignorant tout du monde extérieur au sien, un modèle de réussite mis en orbite par levier parental, Ecoke ronflante formant a tout mais surtout a rien.

    L ascenseur social n existe plus.
    Le mérite n est plus récompensé.

    Le businessman a le blues fainéante mais gagné plus que de raison, l employé ou le cadre s arrachent au boulot, au travail, et croisant ces regards narquois.

    La place est prise en bail emphytéotique. question d éthique entre bonnes gens.

    La chaise musicale des grand PDG continue. A l origine de méthodes outrancières, ceux ci virent par la porte ou la fenêtre.

    Au pire, pour eux, le parachute est c doré.

    Ils ont brisé un héritage flamboyant, brisé des vies par pur égoïsme. Le profit maximum est leur credo.

    La loi, ils n y sont pas soumis.

    La file d attente n attendait un seul geste : les 16 euros qui leur manquait pour monter avec ces deux personnes.

    Mais ni l un ni l autre n ont su faire l effort. ni du travail, ni du coeur.

    Sans voir que l invective cachait juste une profonde envie d égalité qui n existait pas

    Melenchon n a pas inventé le fil a couper le beurre, mais Parisot le vend sans l avoir inventé non plus

    le problème n est c pas d etre riche jeune fille, le problème est c que c la France est laissée exsangue après avoir été bafouée sur tous les plans

    la morale de l histoire, vous l aurez bien compris, c est que bien qu un billet soit bien écrit, le fond reste le principal. plutôt que de étonner les deux auraient dû se remettre en cause

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