Le mal du siècle!

Jeudi dernier, comme une fois par une des douze divisions de l’année pour tenter de progresser, je suis allée m’installer sur le canapé de mon analyste, cet homme de génie, tant instruit et si pertinent, aussi scrupuleusement perfectionniste que résolument anti-dogmatiste :

« Monsieur, suis-je une emphatique compulsive? »
« Oui, irrésistiblement! » s’écria-t-il quasiment optimiste.
Face à ma moue épouvantée, il se fendit d’un ajout :
« Et alors? »
« Alors, me demandez-vous? Je suis donc non seulement répétitive, mais en plus systémique contre mon gré! Où a soudain disparu mon sex-appeal, le charme versatile du décousu, du méconnu, de l’imprévu? »
Il sourit…
« Savez-vous ce qu’est l’empathie Madame? »
« L’identification, l’intellection, l’intuition des sensations et émotions de son prochain, un phénomène souvent rendu par l’expression ‘se mettre dans la peau d’autrui’, un décentrement qui mène à l’action dans l’intérêt du sujet visé par la marque d’empathie, parfois même au détriment de ses propres intérêts. » lui répondis-je.
« Vous pensez réalité psychique, alors qu’il s’agit davantage de réalisme psychique, vous parlez d’intuition alors qu’il est question de représentation ou mieux encore d’application, vous concevez hyper-sens alors que vous êtes hyper-conscience.
L’hypersensibilité est l’antinomie de ce que vous nommez l’empathie : le sentiment brouille la cohérence et embrouille les conséquences.
Etre humain, c’est aimer les hommes ça va de soi, être sage comme vous aspirez à le devenir c’est les découvrir, les subir…
Songez-y! A dans un mois! »

Dans ma voiture, sur le trajet retour vers mon bureau de l’avenue d’Eylau, je réfléchissais à cette super structure : ma propre réalité, le rationnel, la réalité de mon prochain… ma réalité, le monde, ta réalité!
Ce serait donc l’objectivation par la conscience de soi, du réel, de son environnement, de et pour l’humanité?
N’est-ce pas là la forme la plus fertile, la plus charitable, la plus intelligible de l’intelligence!
Quelle consolation m’avait-t-il apportée!,)

Quant à mon T.O.C. de transposition, suis-je la victime d’une résonance sensor-somatique d’ordre neurophysiologique ou suis-je encore capable d’éviter toutes formes de contagion-émotionnelle automatique à l’effort d’un processus motivationnel et attentionnel, d’une volonté d’être affable tout en opérant sciemment une dissociation mentale entre mes relations et moi?
Je m’applique en tout cas à ressentir de l’intérieur les affects de l’extérieur, je m’implique dans l’élaboration d’une analyse logique, je m’évertue à avancer dans la captation, a minima la perception des us, des vertus et collapsus de mon voisin, sans systématiser, en nourrissant seulement mon instinct.

« Narcissique! » allez-vous me lancer!
Et si ce trait de personnalité était un maillon fort de cette sur-compassion, forme d’exaltation par la négative, habitant son corps et son coeur autant que ceux du malheureux dont on est l’observateur clairvoyant, dont on veut le bonheur, que parfois même l’on apostrophe par invectives dans cette juste intention?
Le soi n’est autre que le transport servant à l’entendement; l’identité est valorisée non à l’effet de se flatter en aidant, en consolant ou simplement en rencontrant autrui comme il en est fait état en pure sympathie, mais à l’effet d’autant de mansuétude que d’exactitude, seuls véritables instruments de communion serviable et agréable!

La capacité d’appréhender les émotions d’autrui sans confusion entre soi et autrui, en voici un outil de communication sophistiqué!
Et si par ce biais, il était possible voire loisible à premier souhait d’inhiber tristesse, colère, agressivité ou toute autre forme d’hostilité?…

Alors qu’a-t-il voulu signifier par souffrir l’homme?
A première lecture, ça je vous l’assure, je connais!,)

Au fond, la souffrance n’est autre que le contraire de l’indifférence!
Pour ressentir l’affliction, encore faut-il qu’il y ait eu passion, comment peut-il y avoir tourment autrement qu’en ayant pris le pari de s’ouvrir?

Il y a dans la peine une certaine transcendance, tant en sa réception qu’en son extraction; il y a dans le supplice, une puissance vivificatrice!
Le chagrin a soudain un sens lorsqu’il nous porte plus loin ou encore qu’il nous ramène à l’essentiel et nous permet alors de passer une étape nouvelle, croissance intellectuelle, physique, psychique, affective, spirituelle ou développement personnel, à notre propre profit ou celui d’autrui.

La souffrance, le mal, la désolation, la dépression sont des symptômes banals et pourtant ils n’ont aucune existence. Ce sont des abstractions, des fictions forgées à partir de vues théoriques… un peu comme le sentiment amoureux…!
Ce qui est digne d’intérêt, en revanche, ce sont les personnes qui souffrent, ces âmes qui aiment…

C’est là que se loge le drame! Face à un individu dont la souffrance est difficilement conçue, parce que plurielle, pluri originelle, il est fort accomodant de glisser du non entendu au malentendu, d’un pudique « je ne te comprends pas, je suis désolée » à un « j’abdique, tu es complètement cinglé! ».
Ce qui échappe à notre propre entendement, ce qui ne peut être mesuré à l’aune de notre propre sagacité, serait simulé, voire erroné.
C’est ainsi que se sont développées les diverses qualifications de « maladies psy » arbitrairement appliquées à tous ceux dont les lamentations sont soustraites à la compréhension de la famille et desdits professionnels de santé.
C’est ainsi aussi qu’une souffrance peut en engendrer une autre : celle de ne pas être reconnu ni cru.
Serait-ce pur hasard si mes amis bipolaires sont d’ordinaire de jeunes génies?
Bande de flemmards, au lieu de développer vos acuités, de cheminer vers davantage de substance et de tolérance, il vous aura été plus aisé de les enfermer… Quelle drôle d’idée? Par qui vont-t-ils pouvoir être devinés, appréciés, lus ou parcourus désormais?

Se mettre à la place d’un autre…
Voici donc un savoir substantiel, un facteur de survie essentiel dans un monde où l’homme est sans cesse en rivalité avec l’homme.
L’évolution darwinienne -son procédé- n’a pu que renforcer l’empathie et au fil du temps s’est dégagée l’espèce humaine qui fournit une personnalité à peu près tout ce qu’il habite ou habilite : « voici l’origine de l’animisme (transcendance), plus tard du panthéisme (immanence) des premières religions ».
Pourtant, selon nombre d’études psychiatriques et psychanalytiques, des déficits dans l’intelligence sociale peuvent survenir indépendamment des déficits dans les autres secteurs de la cognition. La théorie de l’esprit voit la capacité de partager et ressentir les états mentaux et moraux de son prochain amoindrie par la systématisation imposée par le groupe culturel ou cultuel, on appelle cela « le serpent qui se mord la queue »…

Dans les milieux religieux, les hommes aiment D’ieu! Pourtant…sont-ils capables de s’aimer entre eux?
Francis Bacon affirmait « les troubles et l’adversité ramènent à la religion ». J’oserais le corriger en prétendant que les troubles DE l’adversité précipitent vers la forme la plus pesante de la religion, vers son cousin maléfique, la superstition, forme d’oisiveté pensante ‘spéciale désoeuvrés’, fatigante solution de paresse.
Bien pis encore -car il n’y a pas trop à reprocher aux simples béni-oui-oui- pire encore je disais, est cette détestation de l’autre justifiée par l’adoration, la dévotion à un D’ieu que l’on n’aurait encore jamais rencontré!
Vous en conviendrez : « une religion qui offrirait des récompenses certaines dans ‘l’autre vie’ verrait disparaître ses dévots à milliers! »

Ainsi c’est cela qu’évoquait mon ami du dernier jeudi : l’hypersensibilité comme offrant matière à une déréalisation, une dépersonnalisation (de soi et des autres) du fétichisme au fanatisme, des déviances sectaires aux violences arbitraires, de l’orthodoxie à la décapitation…

Non, je ne suis pas anti religion!
Il y a au rang du sacré, d’innombrables richesses, des prouesses philosophiques uniques et un code moral indispensable.
J’ai moi-même un professeur de Torah… à la bonne heure! Mais sa lecture est pétrie de conscience et de tolérance, bien que jamais il ne se parjure!
Lisez les dix commandements, D’ieu est au premier rang et pourtant…
Avner lui, qui réalisa l’importance de l’affaire, proposa de remonter plutôt que de se laisser attirer vers le bas… Ainsi, en se hissant de 10 à 1, l’homme passa instantanément au premier rang de l’équation, de nos attentions! Futé non?

« Honore ton père et honore ta mère! » même s’ils t’abominent…
François Rachline propose d’en changer la vitrine à la lumière d’une lecture étymologique:
« Mesure le poids de tes parents, sois conscient de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de leurs plus grands accomplissements à leurs manquements les plus iniques, non plus pour les copier ni même pour les rejeter, simplement pour les connaitre et devenir ton maître unique! »
« Lourd ton père et lourde ta mère! »
Il ne s’agit plus d’une validation ni même d’une invalidation, mais d’une dissociation, depuis l’ébat dont tu es le résultat à leurs états!
Si là il ne s’agit pas d’empathie!

Ah si seulement les Merah avaient théorisé tout cela…

De mon côté, est-ce que l’absence d’hypersensibilité compulsive au profit d’une empathie constructive doit me forcer dans l’affaire susnommée à adopter un positionnement non émotionnel au profit d’un parfait raisonnement juridique stratégique et politique?
Malheureusement, je crains qu’il ne me faille -sans polémiquer- rétorquer que… oui!
Il n’en va pas autrement pour Tariq Ramadan, prédicateur d’horreurs, prêcheur d’alibis à la terreur, accusé pour l’heure d’avoir sexuellement abusé de ses admiratrices, ce qui est sûrement vrai…Finalement un homme n’aura jamais vénéré personne d’autre que lui!
Pour autant, pour le prouver, la partie civile devra annihiler la matrice ci-dessus énoncée -chose mal aisée- et s’extirper de toute dérive punitive, tout en cherchant à entrer dans le fonctionnement de Ramadan et faire en sorte que sa vraie personnalité soit inexorablement et impulsivement révélée.
En somme, c’est encore d’empathie dont il s’agit…

L’emphatique n’est donc pas le mou compatissant ou le benêt bienveillant, mais simplement l’intelligent systématique, le libre comprenant!
Tout ceci est biaisé par notre sensibilité… Doit-on se le reprocher? Empêcher ou s’empêcher d’aimer? Le voudrions-nous que nous ne le pourrions pas…
Si douce est-elle cette effraction en son coeur de quelqu’un que l’on n’aurait pas invité!

Martin Luther King disait « ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants, c’est l’indifférence -télécommandée- des vivants! »

Et si c’était cela, le mal des prochaines années…

2 réflexions au sujet de « Le mal du siècle! »

  1. Deville

    Bonjour Charlotte,
    Tout d’abord merci pour ce beau texte qui vous ressemble tant!
    Je suis psychologue de formation, et loin de moi l’idée de me substituer à votre thérapeute…
    Vous pointez une situation assez couramment rencontrée et qui porte sur l’ambiguïté de cette notion d’empathie.
    En effet il y a un certain nombre de confusions dès lors que nous sommes à l’écoute et pratiquons l’écoute active.
    Effectivement la notion de base repose sur  »se mettre à la place des autres » avec ce que cela suppose comme notion subjective d’interprétation.
    Etre sensible, ouverte aux autres, réceptive, correspond à une démarche empathique.
    Ce qui compte c’est ce que l’on en fait sans se mettre en danger.
    Aussi, je vous invite à aller voir du côté d’Erickson et à sa définition de la relation d’aide, de l’altérité, et surtout, si vous le souhaitez, à une notion assez récente  » le pouvoir agir ».
    Bien cordialement.
    Olivier DEVILLE

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