Author Archives: charlotteticot

La France hait l’argent

Un dimanche soir, alors que le soleil caressait encore les cimes de la charmante ville de Positano, un jeune fiscaliste et un écrivain de renom -qui ne se connaissaient alors pas- s’apprêtaient à rentrer à Paris, après un doux weekend loin des vives tensions de la capitale. A la même heure, en France, une chasse aux sorcières (entendez aux « riches » ou + réalistement à l’investisseur, brillant auto-entrepreneur ou à l’artiste, moteur de la machine économique française) était vastement engagée.

Devant la porte d’embarquement, se dessinaient distinctement deux files: l’une bien fournie, l’autre comptant quatre personnes, un couple et nos deux protagonistes. Ils avaient acheté le privilège de grimper en premier dans l’avion, mais les autres passagers, certains par ignorance, d’autres par arrogance, n’appréciaient pas vraiment ce statut prioritaire et l’un des passagers lança un savant mais inutile « ils se croient au-dessus de tout le monde ceux-là, ils ne peuvent pas faire la queue comme tout le monde?! » Le businessman au tempérament bouillant s’empressa de répondre, sourire satisfait imprimé sur les lèvres, « sortez donc douze euros de votre poche Monsieur et rejoignez-nous ». A ce moment-là, l’écrivain se retourna vers lui intéressé; personnage discret qu’il était, il y avait bien pensé, sans pour autant vouloir donner de l’importance à cette remarque ni risquer de se porter au centre de l’affaire. Leurs regards se croisèrent alors et dans quelques minutes, une discussion allait s’engager…

A priori, tout les opposait, à part peut-être cette délicieuse façon d’incommoder, d’indigner, de bouleverser la norme et les codes entendus; mais le temps d’un voyage, ils allaient se découvrir une affinité toute particulière autour de l’épineuse question des aspirations politiques et fiscales de la France. Tout les opposait vous dis-je, c’est un cliché mais c’est vrai: l’écrivain était culturellement de gauche et vivait simplement, il était calme et réfléchi, érudit même, mais atteint d’une virulente schizophrénie, entier à la fois de ses opinions tranchantes et assumées et de la gêne que sa légère notoriété lui faisait ressentir; le fiscaliste était, lui, de ceux que l’on nomme « nouveaux riches » et n’en était pas peu fier, il était réactionnaire à la voix et à la voie claires, à l’allure notablement haute pour ne pas dire hautaine, sourire franc constamment affiché sur le visage et volontairement révélateur de résultats, l’échec, pour lui, n’était pas en option.

Le premier, encore, avait écrit plus d’un ouvrage à scandale désignant notamment la religion comme la manne des faibles et l’unique responsable de l’impuissance et de la cruauté mondiales, le second avait inventé le pied-de-nez aux autorités, proposant des montages sociétaires parfaitement légaux destinés à éluder ou amoindrir l’impôt. De quoi énerver…

Tout les opposait…Et pourtant…Chacun y allait de son plus bel argumentaire, son plus beau commentaire, sa plus belle anecdote pour s’entendre sur la déchéance socialo-financière de la France et la catastrophe de sa gouvernance.

Notre écrivain de talent donc, comme on le devinerait aisément, vivait dans un quartier animé, jovial même, celui desdits « bo-bo », mais il constatait que depuis quelques temps l’ambiance était devenue bien plus électrique qu’il ne l’avait connue pour ne pas dire hostile. Il y avait même au marché du quartier des tee-shirts et autres tasses prônant la haine anti-juifs et maintenant la haine anti-riches. Il se faisait alors, depuis quelques années, au travers de ses romans enseignants, le porte-parole d’une France lasse de toute cette outrancière communication autour de ladite crise, de cet entretien de la terreur et de ces clivages volontairement alimentés au sein d’une population historiquement progressiste dont il maitrisait parfaitement le contenu. « Elle est bien loin la France Des Valises, elles sont bien loin nos trente glorieuses… Ne faut-il pas qu’il y ait toujours quelques élites qui en soient la tête de file afin de la porter à bout de bras et créer de l’emploi au grand bonheur de ceux qui n’ont légitimement de cesse de réclamer du travail? »

Notre fiscaliste était bien de cet avis et à défaut que la France ne sache encore attirer l’investisseur, autant qu’elle conserve en son sein les consommateurs. C’est bien ce que le brillant jeune homme peinait à organiser: fuite des capitaux certes mais c’était déjà à l’ordre du jour et cela s’avérait donc inéluctable; en revanche, grâce à lui le pays conserv(er)ait au moins la chance de compter parmi ses habitants l’homme qui consomme, le chef d’entreprise qui acquiert voitures, immeubles et autres biens dont elle tire sa richesse, si richesse il y a encore. Et le fiscaliste se mit à confier à son voisin : « Figure-toi »… Ah oui ça y est ils étaient passés au tutoiement – entre anarchistes on se dit « tu » – « figure-toi que l’autre jour je dinais avec ma femme dans un restaurant de quartier et à quelques secondes de notre première fourchette, quatre hommes d’une cinquantaine d’années sont entrés et se sont assis à la table d’à côté. Ils avaient visiblement une aisance tout à la fois comportementale et financière, qui, alliée à un fantastique charisme et à une joie de vivre apparente, ont attiré notre attention. Au début, on les imaginait parisiens et peut-être pourvus de hauts postes dans les BTP, mais au fur et à mesure que leur conversation avançait, on devinait un plaisant accent corse et l’on comprenait qu’ils avaient investi dans des clubs de football à l’échelle européenne. L’un d’eux se mit à raconter, avec beaucoup d’humour, ses déboires avec les forces publiques et la justice française et ses compères ont pris sa suite, sur le même ton. Nous avons assisté pendant quelques heures à un récit hilarant, comme à une pièce de théâtre, au rythme de plusieurs actes, décomposés en quelques gardes-à-vue et autres investigations policières. Nous comprenions, quand bien même l’amalgame aurait pu facilement être commis, qu’ils n’étaient ni escrocs, ni a fortiori criminels et que l’acharnement qu’ils avaient subi était plus de l’ordre du vindicatif que du constructif, coupable qu’ils étaient d’avoir réussi leur vie. La soirée n’était pas finie car à l’instant où nous nous apprêtions à quitter la table, s’installèrent à notre droite deux hommes au visage familier et, crois-le ou non, à nouveau le mot fut lâché, « il vient juste de sortir du  bureau du juge »; c’était de Stéphane Courbit dont il était question. La soirée en devenait burlesque : interrogatoires, commissions, cent, deux cent, trois cent mille euros pour les premiers, quatorze million pour le second! A croire que la France hait le succès. »

L’écrivain l’interrompit et surenchérit « mais tu réalises qu’ils sont sur le dos d’un des vingt hommes les + riches de France, selon classement officiel, pour avoir reçu par l’intermédiaire de l’une de ses nombreuses sociétés, une donation certes d’une somme colossale mais que lui-même possède déjà largement? Qui te dit que cette dame n’a pas simplement eu envie d’investir son argent dont elle déborde dans une société dirigée par un homme qui sait produire du qualitatif et du quantitatif? Et pourquoi, sous prétexte qu’elle n’est plus de dernière fraicheur n’aurait-elle pas le droit d’adhérer à une cause ou à une autre, à un projet ou à un autre et de placer ses sous où et comme bon lui semble? Ah oui c’est toujours cent quarante trois millions de moins pour ses héritiers et quelques millions d’autres par-ci et par-là, mais il leur en restera toujours autant va! Je lisais que Montebourg en a encore fait une bien belle! Voilà que selon lui, « les  nationalisations temporaires sont l’avenir de la politique économique de la France » Bye bye les investisseurs étrangers! »

« Une montebourde de plus! » lança le jeune homme à l’humour cinglant et il ajouta encore: « le marché immobilier est saturé par la revente de biens d’exception qui jusqu’alors appartenaient aux étrangers dont personne ne veut ou ne peut faire l’acquisition. Mais pire encore, ce sont les investisseurs français qui se sauvent. J’entendais Monsieur Marc Simoncini, fondateur entre autre du fameux Meetic, qui répondait aux questions des journalistes; porté pourtant par un immense respect pour la France, attaché qu’il est -attaché que nous sommes tous- au pays dans lequel nous avons grandi et dont on nous a si bien conté les louanges à l’école, il affirmait qu’il lui était bien sûr impossible de conseiller à ses enfants de s’établir en France tant la fiscalité de l’entreprise y est confiscatoire et que lui-même ne s’était pas alloué de revenus depuis quelques mois pour éviter de subir les méandres de la dure loi de l’impôt. Notons que c’est là la solution choisie par pas mal de ceux qui peuvent se permettre de vivre sur leur réserve et que le gouvernement affirme pourtant vouloir viser pour redresser le pays. Faille inéluctable du système: les riches s’en vont ou trouvent le moyen de ne pas s’encombrer de l’impôt, les entrepreneurs ne créent plus et par ricochet l’emploi n’est pas nourri; que l’on s’attarde une instant sur les chiffres du chômage! Et avec ça, l’avenir est toujours aussi si ce n’est plus incertain! Je ne détiens pas la solution et toi non plus sans doute, mais je me demande bien quel produit pourrait redonner une force attractive à notre magnifique pays; si les nouvelles technologies sont maquées par l’Asie, les ressources naturelles par les pays Arabes et la bourse par les pays Anglo-saxons, que reste-t-il à la France pour exporter et relancer la machine économique? N’est-ce pas la bonne problématique? Ou alors nos gouvernants ne veulent-ils pas finalement redonner force vive au pays des pays? A croire que la France hait l’argent…En tout cas, elle le fait fuir! »

Selon le journal de 20 heures de France 2 du jeudi 3 novembre 2011, l’évasion fiscale était officiellement évaluée à cinquante milliards d’euros par an en France, peut-être soixante milliards l’an passé. Si la France adoptait une amnistie fiscale, sur le modèle d’autres Etats en crise comme l’Italie, l’on devine qu’elle en rapatrierait autant sinon plus. Mais le gouvernement semble préférer sa propre dignité à celle de son pays.

Alors, lorsque le voyage toucha à sa fin, les deux hommes se saluèrent et l’écrivain ne négligea pas de demander son contact à l’homme d’affaire, on ne sait jamais il pourrait bien en avoir besoin.

L’amie toxique

On a tous eu une meilleure amie… une amie que l’on connaît depuis nos quinze ans, nos dix ans ou même nos cinq ans,  une avec qui on a grandi ou même une que l’on a connue l’année dernière mais avec qui on a tissé des liens apparemment indestructibles tant la symbiose a été immédiate et la complicité intense! Une amie drôle, prévenante et attentive…tellement attentive… Puis soudain…

Sandra et moi nous nous étions connues en colonie de vacances à l’âge de respectivement quatorze et douze ans. Grâce au téléphone puis aux réseaux sociaux, nous avions pu garder contact, comme ça, à la dérobée pour se souhaiter un anniversaire ou prendre quelques nouvelles. Par chance, Sandra emménagea à Paris un an après moi, j’étais alors âgée de dix-neuf ans. Immédiatement nous nous sommes retrouvées. On s’entendait si bien… On partageait le goût des bonnes bouffes, la découverte de beaux endroits chaleureux et accueillants, des rencontres, des cafés, des critiques de situations, de personnes et surtout de longues discussions à n’en plus finir.

Doucement, cette amie oh combien idéale à mes yeux s’avéra ne pas être si idéale que cela…

Pendant longtemps, je me suis cachée la vérité, j’ai enfermé mes émotions et mes blessures d’un coup de clef dans mes entrailles, je me suis persuadée que si ma bonne copine se révélait intrusive et blessante c’est qu’elle avait la légitimité de l’être et j’ai accepté au lieu d’exploser. Aujourd’hui où les fous rires ont laissé la place aux réflexions acerbes et aux commentaires perfides, à la jalousie amère et à la haine perceptible, voilà ma réaction, aimez vos amis avec précaution!

A peine un an après nos fantastiques retrouvailles et au fur et à mesure qu’elle se sentait à l’aise avec l’exercice, elle se plaisait à m’expliquer combien je la mettais mal à l’aise à m’habiller de façon « trop originale » ou de manière  à « me rendre désirable »; en effet, « il faut assumer de fréquenter une fille comme moi » disait-elle! – Ceux qui me connaissent doivent bien rigoler, plus “BCBG” que moi, il n’y a pas. – Et je la croyais…

Progressivement, disais-je donc, les remarques sibyllines et les rires gras sont devenus lot quotidien! Tout y passait: mes vêtements, mon attitude, mes compétences. Mais comment remettre en cause l’objectivité d’une amie que l’on aime tant et à qui l’on donne toute sa confiance? Ah oui, j’ai oublié de préciser que – bien évidemment – elle était la première à me porter secours lorsqu’un malheur s’abattait sur ma triste frimousse: un chagrin d’amour, un souci de travail ou une simple grippe, elle était là, toujours là – bien évidemment -.

A croire que l’on a des amis du malheur et des amis du bonheur quoi… Ou plus simplement, n’était-ce pas qu’elle éprouvait une forme de concupiscence gourmande et jubilatoire à me savoir affaiblie?

Moi, je ne voyais que mon amie, ma confidente, celle avec qui je m’amusais entre deux blâmes légèrement cuisants…

Plus les mois et les années passaient et plus je réalisais tout de même que je n’étais pas pour elle le compagnon de sortie(s) rêvé… Chaque soirée à laquelle nous nous rendions se terminait, si bien sûr elle n’avait démarré ainsi, sur une note de mauvaise humeur.

Hommes et femmes confondus venaient à moi, alors pourtant que je suis plutôt de nature réservée et ça la rendait malade! Forte d’empathie et plus encore d’amitié sincère, j’usais de toute ma diplomatie pour lui expliquer que pour attirer les autres, un visage ouvert même si le sourire est fragile offre bien plus de chance d’arriver à l’effet escompté qu’une trogne renfrognée et quelques mots notablement agressifs. Je tâchais de lui faire prendre conscience que c’est un travail réel comme c’est le cas d’apprendre à choisir ses vêtements, à poser sa voix ou à correctement s’exprimer pour devenir séduisante; malgré tout, pour lui redonner confiance, je finissais toujours ma démonstration en la tranquillisant: « mais ma chérie, ton naturel est ainsi et c’est comme cela que moi je t’aime, un jour viendra, un homme verra tout le bon qui se cache sous ta coquille et prendra le temps de t’apprendre et la peine de te sublimer ». Et c’était vrai, c’était vrai mais quand même…son agressivité et ses regards coléreux, parfois malveillants à mon encontre commençaient à agacer quelques unes de mes autres relations dont, cela va sans dire, Sandra ne supportait pas la rivalité.

Coup fatal, j’ai rencontré quelqu’un…ah! Quand on s’attire les foudres de tout le monde et que le binôme sur lequel on a voulu exercer une pleine maîtrise tout en procédant à un mimétisme bancal mais quasi-absolu présente le risque de passer sous le joug d’une autre force encore plus radicale  et totale (l’amour) rien ne va plus! Et là a commencé, au sujet de ma nouvelle rencontre, la valse des étiquettes odieuses et hargneuses avec toujours une pointe de moquerie et un fond d’envie. Puis l’intrusion, l’irruption même, les questions, la révélation culpabilisante d’un sentiment d’abandon, quand même j’essayais de ne pas réduire la fréquence de nos réunions. On le sait bien, prospérité fait peu d’amis mais on ne savait pas qu’elle faisait peur aux  copines…

Finalement et heureusement, forte de ce nouveau repère et avec le soutien d’une personne chère à mon cœur qui se reconnaîtra, j’ai réussi à réaliser que son influence était polluante et que sa rancœur était tenace. Toutes les excuses, qui ne méritaient que ce titre d’ailleurs, tombaient à l’eau quand je devenais rationnelle et me libérais de sa domination amicale. J’ai donc décidé de prendre mes distances mais la rupture n’a pas été chose facile, car le talent des ces amies toxiques, c’est bien d’instaurer une relation intense et singulière et dont, sans savoir pourquoi, on craint la fin.

C’est plus perturbant encore que l’on sait que ces amies toxiques ne sont pas foncièrement méchantes, elles sont bien souvent en crise avec elles-mêmes, en mal d’amour, souvent filles de marâtres ou sentimentalement négligées; elles ne s’aiment pas et ne se sentent exister que dans l’illusion de la fusion tout en voulant former un grand tout avec celles qu’elles décident de s’accaparer. Qui de profondément sensible n’aurait pas envie de leur venir en aide? Tout comme à ces détraquées qui s’inventent une vie pour se donner l’illusion d’en avoir une ou s’identifier à ceux qui en ont une, dont on devine fort bien la détresse et à qui on se plait, par narcissisme sans doute, par affection parfois, par instinct et par compassion au moins, à apporter son concours.

Et puis il est connu que l’on a plus de mal à accepter de s’être trompé(e) en amitié qu’en amour : l’amie, la meilleure amie, est censée être notre miroir si elle n’est notre reflet, une sorte de second moi…

Alors justement, et puisque nos amis sont une part de nous, ne nous trompons pas, ne restons sous aucun prétexte emboué(e)s au sein de relations nuisibles qui intoxiquent notre « moi » et nous empêchent d’avancer dans la sérénité.

Et comme l’assénait Confucius, « choisissons nos amis parmi nos égaux » ou ceux qui nous tirent vers le haut. Moi j’ai choisi les miens…