Archives mensuelles : avril 2016

Lettre à un inconnu, que j’ai si bien connu (Ode à la passion)

Je sais,
Je sais bien qu’il ne se fait pas d’envoyer des courriers.
Ce n’est plus d’actualité… il paraît.
Cela pourrait presque sembler intrusif à une époque où tout un pan de réseau connait ton intimité, que tu le veuilles ou non, que tu te prêtes au jeu ou que tu tentes d’y échapper.
Moi-même si j’en recevais une fournée… de lettres habitées, hantées par un bout d’âme de celui qui me les enverrait, je crois qu’il ne m’en faudrait pas davantage pour porter plainte contre l’envahisseur, l’assaillant de ma tranquillité ou plutôt non de mon antre déjà suffisamment tourmentée.
Mais puisque j’ai changé d’espace, c’est un peu alors comme si j’avais traversé les temps et que j’étais soudain autorisée à déborder, comme si une sorte de contre temps ou un autre temps permettait que j’outrepasse cette interdiction morale de l’intrusion, de la déballe.
Je sais ce que tu te dis, mais non, je t’assure que non, ce n’est pas une tentative supplémentaire de rassurer mon ego troublé, d’apaiser mon aura un peu malmenée. C’est surprenant mais nan! J’y ai bien songé mais je suis courtisée -tu le sais- assez pour accepter qu’une fois tout n’ait pas été comme je l’avais imaginé.
En ce moment, là, à cet instant au cours duquel je t’écris, j’écoute Yasmin Levy; elle m’émeut tant! Je ne dois pas être la seule à la sentir c’est sûr, mais je veux penser que quand je respire, c’est à mon souffle qu’elle raconte une histoire, que ce sont mes blessures qu’elle emmitoufle dans un grand drap noir… de soie, ça va de soi!
C’est peut-être un peu mélancolique, assez nostalgique pourquoi pas, mais ce n’est pas déchirant encore moins désolant. C’est simplement transcendant.
Comme ce sentiment : il est des gens parfois – rarement mais parfois- que l’on rencontre pour la première fois et c’est comme s’ils avaient vécu en nous depuis toujours. J’en ai connu deux avant toi, un homme et une femme, une partie de moi pour l’éternité. Il ne s’agit pas d’amour, non pas du tout!
Mais évidemment toi c’est différent. L’antagonisme de genre qui nous divise ne peut supporter une telle proximité, ne peut souffrir mon axiome, mon postulat de l’énoncé « à jamais ». Non pas que je ne t’aime pas. Je t’ai aimé… non, pas comme on aime quelqu’un avec qui l’on a tant partagé mais tel un être de qualité, la belle personne que j’ai eu envie de deviner et tu n’as rien à y apporter ni à en retirer; c’était mon choix pour une fois de soupçonner, de discerner, d’éprouver, de prophétiser même tout ce que jamais tu ne m’aurais dévoilé.
J’ai changé de métier. Tu avais raison, comme toi qui étais indocile et fragile, trop fort, trop retors pour te laisser sélectionner, préférer ou rejeter, j’ai décidé également de réaliser mon destin, d’être un de ces bâtisseurs que toi et moi admirons tant.
Je crayonne sur mon papier depuis Israël, alors tu dois te dire que mes errances sont contextuelles, émotionnelles, passionnelles, pas tout à fait intentionnelles ni suffisamment préméditées ou mesurées. Mais si, si plus que jamais!
Parce qu’avant de franchir les grandes étapes de la vie, on ressent souvent la nécessité de dire des vérités à certaines personnes triées sur le volet.
Alors avant d’accepter de concevoir qu’il est bien l’heure de concevoir, c’est à toi que je veux avouer combien le temps m’effraie. Je vois bien que la caravane passe et je refuse cependant de m’y accrocher. Peut-être me pensais-je en possession du pouvoir de le suspendre, ce farceur?
C’est mon devoir. Je suis femme et pleine de savoir, il me faut transmettre, je ne peux pas me démettre. Et puis après tout, il n’y a que la pureté des enfants qui m’apporte un peu de gaieté, qui me rassérène et qui atténue mes peines. Sans doute seront-ils -les miens ou ceux que j’adopterai- mon salut, celui que jamais par ailleurs, que jamais meilleur, je n’aurais obtenu!
En attendant, cette lettre est à toi, toi qui te reconnaîtras et qui la liras à la lumière de ta fenêtre. Toi le parfait inconnu que pourtant j’ai si bien connu.
A toi, à jamais.