Archives mensuelles : août 2013

Itinéraire d’une enfant gâtée / 2

Mon ami et moi nous étions donnés rendez-vous aux aurores afin d’éviter l’engorgement signalé par notre cher Ministre des Transports. Déplorable copilote, pas le temps de réciter une fable que je m’étais malencontreusement endormie… quand, soudain, pas si loin, après à peine trois heures de sommeil, je sursaute : « Sors du véhicule, mets bien les mains en évidence, avance, recule! ». Qui me réveille? J’apercevais à travers les vitres teintées, depuis les sièges arrière où je m’étais installée pour mieux rêver, pas moins de six agents de la police des frontières, faisant barrage, utilisant un langage quelque peu familier, pistolets braqués sur mon compère et qui ne semblaient pas réellement être en train de plaisanter!

A cet instant, aucun d’entre eux ne m’avait remarquée à travers le double vitrage fumé…  Je vous fais là une révélation inquiétante! S’il y avait bien eu danger ou que j’avais été armée, que se serait-il passé? Enfin, j’avais des informations plus pressantes à traiter :

–       Mon ami a-t-il quelque chose à se reprocher? Impossible, je le connais depuis tant d’années.

–       Dois-je pointer mon nez au risque de provoquer l’affolement ou attendre patiemment? Donnée sensible.

Je décidai de passer ma tête, doucement… prudemment… par-dessus l’accoudoir du siège avant, afin que ces messieurs puissent me voir…  Le premier qui devina ma silhouette, à travers la fenêtre avant gauche, conclut rapidement qu’ils étaient en train de commettre une bavure : a priori, je n’avais pas une allure à faire grimper le trouillomètre. Ils baissèrent donc leurs revolvers et après avoir furtivement inspecté la voiture, ils nous sommèrent de nous ranger sur le côté et d’attendre leur feu vert. Ils ne nous donnèrent aucune explication! A tel point qu’il nous fallut insister pour nous entendre assurer que nous leur avions été signalés comme étant des « gofasteurs », soit de dangereux trafiquants important des produits stupéfiants…  Et ce sans même que nous n’ayions commis un seul excès de vitesse… A la bonne heure! Il me paraît plutôt que le mois d’août les avait plongés dans une tristesse proche de la détresse et que pour ne pas que ses seconds s’encroûtent, le chef de section leur avait proposé un entrainement destiné à chasser l’engourdissement.

A Uzès, je m’installe au Richelieu : une dame d’une gentillesse prodigieuse et quasi-contagieuse me dévoile les lieux. Yannick, aux origines flamandes, au physique peu banal et qui ferait presque de la contre-propagande à la délocalisation fiscale, s’est évadée de sa Belgique natale pour ériger sa forteresse autour d’anciens vestiges de l’époque romaine. La demeure, d’inspiration maçonnique, se situe au cœur de la ville historique. En traversant le Moyen-âge, la Renaissance, la Révolution, le pouvoir des Evêques et la Réforme, chaque ruelle semble conter aux passants…tout un roman! Deci delà, endroit après endroit, c’est comme si l’architecture était enchantée : figurez-vous que chaque mur m’a murmuré un secret… Uzès, la cité aux pouvoirs temporels et aux charmes intemporels, dont le mariage stylistique offre un voyage unique, mérite qu’on la caresse et qu’on lui dédie une poésie épique ou un titre d’Altesse.

Direction Carpentras! Avant de continuer mon trajet, je compte m’arrêter, symboliquement, dire une prière devant la tombe jadis profanée par quelques néonazis. Les faits m’avaient évidemment touchée et d’autant plus marquée que ces pervers illuminés avaient agi un 9 mai, jour de mon anniversaire. « Excusez-moi, je cherche le cimetière juif? » « Excusez-moi, le cimetière juif s’il vous plait? » « Pouvez-vous m’indiquer le cimetière juif je vous prie? » Ah non, la tournure de phrase n’a jamais rien changé… Non pas que personne ne soit informé… Mais… A croire qu’à Carpentras, le temps s’est figé! Un jeune musulman en habit traditionnel et en plein ramadan, par quarante degrés en pleine journée, attentif à ma requête spirituelle, eut la bienveillance de prendre le temps de m’aiguiller et je réalisai mon souhait.

Avez-vous déjà goûté une cuissette? Je ne vous livre pas la recette, empruntez quelques sentiers qui mènent à Vaison la Romaine, la sinuosité vaut le crochet.

Me voilà conquise par les Beaumes de Venise! La jeune femme qui entretient ladite Maison des Remparts, le fait fort bien.

Mais déjà je repars pour l’Isle sur la Sorgue. Un petit tour au marché des antiquaires, mais je suis fatiguée, épuisée, à terre! Demi-tour! Dans la prochaine maison d’hôte où je suis attendue, la Bastide Rose, il faut que je me repose! Quelle mauvaise surprise! Je ne ferai pas la reprise de mon billet « la Bastide Rose, théâtre d’une marâtre », on va dire que je fanatise ou pire que j’ironise ou encore on va vouloir m’abattre.

Je m’enfuis alors en avance vers Saint Rémi de Provence qui est digne de son affluence et je trépigne d’impatience de connaître Cucuron, non pas pour son nom – et je vous interdis de souffler qu’il me va comme un gant- mais pour son renom et pour être le voisin de Lourmarin, ravissant patelin.

Mon circuit s’acheva ainsi et je me rendis à Saint-Tropez pour son allure et sa belle nature… Non, je vous fais marcher… Mais cette partie-là est classée confidentielle.

A bientôt…

Itinéraire d’une enfant gâtée / 1

Sur la route de Montussan, je succombe en apercevant le Château du Lort : une grille magnifique, un nom antique… Château dit-on, mais une fois traversée l’exploitation, terrain de quelques vingt deux hectares de vignes, voilà qu’il s’agit d’une modeste bâtisse, face exposée ravalée et luisante, face cachée en pierre ancienne non nettoyée. Ce plaisant édifice n’est pas plus récent que la Guerre des Trente ans, il date du début du dix-septième siècle. Il inspire à quiconque l’admire un sentiment de majesté tout autant que d’authenticité, en somme, tout ce que j’aime et aspire à devenir.

Et me voilà arrivée au Château de la Moune, qui, encore une fois, en dépit de sa royale dénommée, s’avère être une belle maisonnée de quelques 1000 m2. J’y dors…On m’attribue la chambre rose dont le décor est une prose : la logeuse a osé le lin dans les beiges-rosés, un havre de paix! Ma terrasse et en face un jardin… Une moissonneuse batteuse laissée à l’abandon –charmante- et des confitures ensorcelantes que la grand-mère de la propriétaire… non une dame âgée que tout le quartier, que dis-je, toute la contrée nomme « ma grand-mère » a préparées, comme elle le fait chaque jour, avec de l’amour et les fruits de son verger, pour les distribuer.

L’homme qui seconde la patronne, nez rouge et un peu chargé s’en est allé de Paris essoufflé, pour chercher son ivre de paix, l’élitisme de l’éthylisme. Non, il ne faut pas se moquer, comme disait Alfred de Musset, « Aimer est le grand point, qu’importe la maitresse, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ». Allons, « vive L’amour que l’ivresse accompagne »! C’est vrai, fuir la détresse devrait suffire; sentir la nature qui le caresse, ce devrait être ça son ivresse. Mais passons…

Après tout, si je piote dans cette maison d’hôtes, c’est avant tout pour aller visiter Bordeaux et ses à-côtés; et je suis subjuguée! La perle d’Aquitaine ne mérite plus le surnom de « belle endormie » qu’elle traine encore aujourd’hui.  La jolie s’est bien réveillée, sa pierre a été lavée et depuis quelques années, elle est même classée au Patrimoine Mondial de l’Humanité pour ses sensationnelles constructions. C’est Paris, mais un Paris où planeraient décontraction et d’éventuelles insolations.

Le style de la ville? Du second Empire, à la parisienne… Haussmann n’y est pas tout à fait étranger. En effet édifiée à la même époque que Paris, Bordeaux a été façonnée à partir de pierres issues de carrières composées du rejet de calcaire marin survenu il y a quelques cinquante millions d’années. Elle est couleur sable, c’est une splendeur!

Ce soir-là, je dîne au Gabriel, un restaurant place de la Bourse, ancienne place Royale, le double de notre place Vendôme, exceptionnel! J’observe les gens…Il ne me semble pas que beaucoup d’entre eux votent socialistes… Non pas que je le sois, surtout en ces temps de dictature par l’effroi, mais je trouve ça toujours triste, sans doute est-ce mon éducation qui veut ça?

Le lendemain, je visite Saint-Emilion : des vignes à foison et des grands noms proprement posés sur des cloisons… Tout ce que tu as humé, dégusté, rêvé de goûter ou au moins dont tu as entendu parler. Ca existe vraiment? Non, réellement, ça fait un drôle d’effet.

On me propose de voir le Château Guadet, je me laisse tenter. Je pénètre dans les caves de l’établissement, c’est presque effrayant, mais enfin, si l’on m’oublie là, j’aurai de quoi m’abreuver! L’inspection des souterrains touche à sa fin, j’arrive dans la salle de production du vin, j’apprends… que je ne sais rien. Puis, cours d’œnologie. J’achève la matinée riche d’un savoir qui vaut largement un diamant.

J’emprunte à nouveau les chemins verdoyants qui me mèneront vers mon prochain logement… le Château Pape Clément… Fascinant! Bon il faut avouer que Pessac c’est une poubelle, mais le Château, lui, il te met une claque visuelle. Attention, la référence papale n’a pas qu’une valeur historique, elle est bien actuelle. Pourtant, même si tu n’es pas catholique, vas-y, c’est une expérience unique. Et puis l’intendant, qui me raconte comme on se délaisse d’un secret trop longtemps gardé qu’il est le dernier à avoir vu Lady Diana en vie alors qu’il travaillait au bar de nuit du Ritz hôtel, est comme tout droit sorti d’un conte. Je vis un moment enchanté!

Prochain départ direction Clermont de Beauregard. J’ai trouvé sur internet l’adresse du Manoir de Beauregard, je me suis laissée porter par le hasard et le hasard m’a gâtée. Au milieu des champs de blé, je découvre une ancienne ferme retapée, fabuleusement décorée, avec élégance et simplicité par une anglaise dont la beauté a été à se damner. Respire, ça sent bon la sérénité! La piscine déborde sur la jetée comme la volupté s’installe dans ton corps sans que tu ne l’aies appelée et tu en demanderas encore…

Changement de décor… Je reviens en arrière, je dors au Château la Rivière. Monsieur Grégoire, le propriétaire, ancien vendeur de machines agraires, s’est offert ce modeste cadeau. Le village se trouve à quelques cinq kilomètres de Saint-Emilion et le taux d’occupation y est proche de zéro. Dans le château, grand de quelques centaines d’hectares, aucune chambre n’est habitée… Je suis seule… Ca ressemble à un film d’horreur; non non, je n’ai pas peur! Le lendemain matin, je me réveille saine et sauve, ouf! La femme du gardien m’a préparé un bon petit-déjeuner avec de délicieuses confitures-maison. Je lui demande de pouvoir en emporter un peu, juste un pot ou deux, elle accepte… à contrecœur! Je l’observe chercher dans sa réserve en pagaille de quoi obtempérer et je la vois remplacer chaque pot qu’elle déniche par un autre de plus petite taille, comme on ouvrirait une poupée russe. Pendant sa quête, elle sortait la tête de son gouffre avec le sourire espérant que je ne m’en aperçusse. C’est comme ça…L’absence de générosité, il n’y a pas pire malheur, mais le malheur est pour ceux qui en souffrent.

Cette nuit-là, je voyagerai avec un ami qui avait prévu de conduire jusqu’à Perpignan et me déposerai sur son trajet, afin que je continue mon circuit, pour mon plus grand agrément et « avec plaisir » m’a-t-il assuré. Pourtant, à cet instant, je ne me doutais pas de ce qui allait arriver…

La suite de mes péripéties dans mon prochain récit.